Ad Valoris s’entretient avec Magali Ginet Babel, directrice générale des EPI, Etablissements publics pour l’intégration.

Les EPI accueillent chaque année plus de 2000 personnes en situation de handicap ou en difficulté d’insertion sociale et professionnelle, proposent des emplois rémunérés, avec contrat de travail dans plus de 40 métiers de types industriel, administratif ou artisanal, hébergent des personnes en situation de handicap dans des centres de jour et des résidences, avec un accompagnement professionnel qualifié.

Magali Ginet Babel, directrice générale de cette institution phare, nous offre pour ce début d’année un entretien visionnaire, où la question centrale de l’inclusion mène rapidement à la transition numérique, à la singularité plutôt qu’au handicap et à une approche fine de l’équation économique et sociale.

Vidéo de présentation des EPI

Ad Valoris : Magali, pour amorcer cet entretien, comment définissez-vous la notion de société inclusive ?

Une société inclusive va au-delà de l’égalité formelle ; elle repose sur une démarche dynamique et continue, visant à garantir la pleine participation des personnes vulnérables, ou en situation de handicap, à la vie sociale. C’est un principe d’équité fondamental : dans notre société, chaque individu doit pouvoir bénéficier de conditions adaptées à ses besoins spécifiques, en abolissant pour commencer les désavantages structurels. La diversité, ainsi débarrassée de tout jugement discriminatoire, devient une richesse.

En amont de l’immersion professionnelle, y a-t-il déjà une démarche inclusive au niveau de la formation universitaire ou professionnelle ?

À ma connaissance, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir de ce côté-là. Une société soucieuse de ce que je préfère définir comme des singularités ne peut faire l’économie d’un enseignement inclusif. À titre d’exemple, les bâtiments, encore aujourd’hui, qui dispensent les formations, ne répondent que très partiellement aux besoins des personnes à mobilité réduite. D’autre part, il est encore difficile d’obtenir des adaptations de contenus pédagogiques, de temps ou de supports de cours permettant à des personnes ayant des besoins spécifiques de suivre les enseignements. De nombreux progrès doivent être faits, tant au niveau infrastructurel que pédagogique et programmatique, pour assurer une véritable inclusion dans l’éducation.

L’inclusion passe par l’éducation. Il est important de conscientiser la société dès le plus jeune âge. L’éducation constitue un creuset pour la tolérance. Elle aide à dépasser les stéréotypes dans une société focalisée sur la performance. Cela passe par de la sensibilisation et de la formation des professeur.es et des élèves et par le développement de ressources adaptées à tous les élèves pour garantir l’égalité des chances. Et surtout, ne pas oublier les proches, qui constituent bien souvent une ressource extrêmement précieuse.

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Quelle est la place des familles dans ces phases d’apprentissage ?

Les parents jouent un rôle essentiel en transmettant des valeurs et des attitudes qui influencent la manière dont leurs enfants perçoivent la singularité. Leur implication dans le processus éducatif, que ce soit en tant que partenaires ou intervenant.es, est un atout que l’on ne mobilise certainement pas assez et qui pourrait nous aider notamment dans le développement d’une école plus inclusive. Par exemple, des parents formés et volontaires pour soutenir l’inclusion peuvent renforcer les liens entre élèves, enseignant.es et familles. Les proches des personnes concernées par le handicap ont bien souvent su développer des clés de compréhension et des moyens, souvent très créatifs, pour répondre aux besoins. Leur rôle, qui ne nécessite pas forcément de ressources financières, pourrait certainement faciliter la mise en place d’un enseignement plus inclusif.

Quelles approches concrètes les EPI mettent-ils en place ?

Au-delà du quotidien, nous entamons depuis ces deux dernières années des réflexions en profondeur pour favoriser la participation sociale et l’inclusivité de nos bénéficiaires.

Pour ne citer que deux exemples concrets, nous avons travaillé à l’élaboration d’un référentiel de bonnes pratiques institutionnelles, en collaboration avec des proches, des membres d’associations, des collaborateurs.trices, des personnes concernées ainsi que des membres de la direction. Ce référentiel définit les principes du partenariat institutionnel pour soutenir la qualité de vie des personnes accueillies aux EPI, leur bien-être, leur autonomie et leur participation dans les décisions qui les concernent ainsi que les indicateurs de réussite.

Nous avons également lancé un projet en collaboration avec la HETS de Genève. Ce projet poursuit un double objectif : d’une part, développer des approches méthodologiques permettant à nos bénéficiaires de contribuer activement aux décisions institutionnelles qui les concernent ; d’autre part, identifier avec eux les sujets prioritaires sur lesquels ils souhaitent s’engager et, avec notre accompagnement, concevoir des projets concrets favorisant leur inclusion et leur participation sociale.

Nous débutons également, en ce début d’année, un projet pour favoriser l’accès et l’accessibilité de nos bénéficiaires au numérique. Le numérique est maintenant une dimension fondamentale de notre quotidien. Ne pas y avoir accès est un réel facteur d’exclusion.

À ce titre, comment le projet « Accès et Accessibilité » mené par les EPI répond-il aux défis de l’inclusion ?

Notre projet « Accès et Accessibilité » repose sur deux axes :
– Accès : Adapter les outils, espaces et équipements pour qu’ils soient utilisables par toutes et tous, par exemple en proposant des souris adaptées, des écrans sonores, ou des solutions facilitant le déplacement jusqu’à un poste informatique.
– Accessibilité : Rendre les contenus numériques compréhensibles et exploitables par le plus grand nombre, grâce à des formats diversifiés (auditif, visuel, tactile) et à des technologies comme les livres audio, les prothèses connectées ou les plateformes de réalité virtuelle.

Comment les EPI s’engagent-ils dans une meilleure représentation des personnes en situation de handicap, que ce soit dans les médias, le milieu professionnel ou la vie sociale en général ?

Notre engagement repose sur un principe clé : écouter, comprendre et co-construire avec les personnes en situation de handicap.
Outre nos résidences, nous déployons un éventail de 40 métiers dans nos ateliers de production, que nous avons centralisés depuis peu en partie à SPARK, dans la ZIPLO (Zone Industrielle de Plan-les-Ouates). Nous sommes alignés aux lois du marché en termes de prix, de qualité et de délais, tout en adaptant notre organisation aux exigences ergonomiques et psychologiques des travailleurs.euses. Nos ateliers ne se contentent pas de fournir un emploi ; ils sont pensés pour offrir de nouvelles perspectives. Nous développons à ce titre des partenariats avec des entreprises, en intégrant certains de nos ateliers directement chez elles. Ce modèle permet de travailler dans un cadre professionnel « ordinaire » tout en bénéficiant d’un accompagnement adapté. C’est une formidable étape vers le circuit classique.

Sur le plan social, nous sollicitons de plus en plus la participation des protagonistes dans les orientations prises au sein de notre institution. Il ne s’agit pas simplement de demander un avis, mais de donner les outils nécessaires pour exprimer des idées et contribuer aux réformes. Pour cela, nous avons par exemple une commission des collaborateurs-trices en emploi adapté et un conseil des résident-es que nous consultons régulièrement.

Quelle valeur cardinale cultivez-vous au sein des équipes EPI ?

Le souci de l’autre, sans aucun doute. Prendre soin de son prochain, c’est reconnaître l’interdépendance comme une valeur centrale. L’objectif n’est pas de se présenter en sauveurs, mais d’accompagner dans le respect des un.es et des autres. La situation de handicap est une réalité finalement assez virtuelle : elle définit des possibilités et des potentiels, dans un environnement donné, avant d’imposer des limites.

En guise de conclusion à notre entretien, pensez-vous que l’engouement pour les Jeux paralympiques de Paris 2024 ait pu influencer l’inclusion ?

Les Jeux olympiques et paralympiques ont uni compétiteurs.trices et spectateur.trices dans une fascination pour l’exploit, le talent et le dépassement de soi. Tout comme le cinéma a le pouvoir de nous éveiller sur les difficultés rencontrées par les personnes atteintes d’un handicap, avec des succès tels qu’« Intouchables » ou « Un p’tit truc en plus », les Jeux paralympiques ont produit une admiration unanime pour des athlètes, rien que des athlètes, mais avant tout, ils offrent de belles perspectives et de la motivation pour les personnes qui sont en situation de handicap. Ils présentent des modèles auxquels on peut s’identifier et confirmer que c’est possible, possible d’y arriver : d’être acteur-trice, athlète, etc.

« La diversité, ainsi débarrassée de tout jugement discriminatoire, devient une richesse. »

Magali Ginet Babel – Directrice générale des EPI, Etablissements publics pour l’intégration.